Campagne de la Seine
from Jules et Jim
S
ITÔT
MARIÉS,
S
ITÔT
MARIÉS,
etlesobligationsfamilialesaccomplies,
JulesetKathe
revinrentàParis.
Jimvintdîner
chezeux.
Legrandlitmérovingien
étaitinauguréofficiellement.
Julesétaitheureux
ets’occupait
detout.
C’étaitvraiment
enfinunhomme.
Jimlevit
réglermagistralement
desquestionsdelinge,
deloyers,
d’assurances,
debagages,
etfutébloui.
Seulementils’aperçut
peuàpeuque
lessolutionsdeJules
étaientdumêmeordreque
lechapeauhautdeforme
danslefourdupoêle.
Kathelevoyaitaussi
etelle
ne bronchait pas.
Elledisait«oui»à
Julespourtout,
ettoutsemblait
enordre.
Ilauraitsouffert
dumoindredoute
émisàcesujet.
Iletaitlemari
delafemmeblonde
desesréves.
JimemmenaKatheetJules
dansunrestaurant
duquaiVoltaire.
Cefutun
déjeuneràloisir
pourfêter
leurmariage
etchacund’eux
se composaunmenu
selonsafantaisie.
Katheavaitunerobe
desoieàraiesmulticolores.
Julesse mitàparler
àJim
defaitslittéraires
quilesintéressaient
touslesdeux
etqui
nepouvaientguèreintéresserKathe.
Jimessaya
deramenerlaconversation
versKathe.
Maisenvain.
Julesétaitlancé,
et,danssonesprit,
Kathe,femmed’écrivain,
devaitprendregoût
àceschoses.
Katheavaitsonsourirearchaïque
etlesyeuxbaissés.
Quepensait-elle?
Julesétaitcharmant
enversJim
maissacrifiaitKathe
bieninutilement,
car
ilsavaientdéjàeu
debellesconversationsà trois.
Aulieudecela
lebon,lemodeste
Julesprenaitlaprésidence
etlagardait
au-delà
detouteattente.
Ilfaisaitpresque
dudressageavecKathe.
Jimse rappela
lasoiréeoù
Magdas’étaitrévoltée.
Kathe
ne pouvait,pensait-il
toléreruntelJules,
etelleétaitautrement
arméequeMagda.
CommentJulespouvait-il
êtreaussipeuclairvoyant?
CommentKatheriposterait-elle?
Etleuramour?
–Jimsouffrait
poureuxdeux.
Alafin
decelongrepas,
Katheproposa
d’allerse promener
toutaubord
delaSeine.
Ilslongèrent
touspromener
toutaubord
delaSeine.
Ilslongèrent
touslestrois
l’ancienneécluse
delaMonnaie,
remontèrentlequai
enfacedu
squareduVertGalant.
Julesparlaittoujours.
Soudain
Kathelâchasonsacàmain
etsesgants,
écartadoucement
JulesetJim,
etsautatoutedroite
danslaSeine.
«Ohmypropheticsoul!»
criaenJimunevoix,
tandisqu’ilenvoyait
enpensée
unbaiserinvisible
àKathe.
Cesautse grava
danssesyeux
aupointqu’il
enfitlelendemainundessin,
luiquine dessinait pas.
Unéclaird’admiration
jaillitenlui.
Celle-là,aumoins,
ne craignait pas
defaireautre!
Julesétaitcomme
sousunjetdedouche
etiltremblaitpour
laviedeKathe.
Jimétaittranquille,
ilavaitvu
lestylede
sonplongeondebout
etilavait
entenduparler
desesexploits.
Ilnageaitmentalement
avecelle
sousl’eau
etilgardait
sonsouffle
avecelle,
pourne reparaître que
leplustard
etleplusloinpossible,
pourbieneffrayerJules.
Lechapeaudepaille
deKathe
suivaittoutseul
lefill’eau,
ornéde
l’épingled’émaux
dontsabelle-mère
luiavait
faitcadeau.
Dessecondespassaient.
Julestournasesyeux
versJim,
croyantKatheperdue.
Jimluifitsigne
d’attendreet
luidésignabientôt
unetêteblonde
quiémergeait
trentepasenaval,
quivirait,et
quinageait
verslarive,
avecsonsourireinchangé.
Ellese rapprocha
avecpeine
etcria:
«Marobe
me gêne!Aidez-moi!»
Jimsautadansunebarque,
maiselleétaitenchaînée.
Iln’était pas
assezbonnageur
pouraideruneKathe
etilne jugeait pas
qu’elleeûtvraimentbesoind’aide.
Ilcourut,
ôtantsongrandimperméable,
se pencha,
letint
parleboutd’unemanche
etlefitpendre
presquejusqu’àl’eau.
Katheputlesaisir.
Duhautdu
quaiàpic
illatraînaàcontre-courant,
commeunpoisson
versl’épuisette,
jusqu’aucanot.
Kathese hissa,
grimpaallégrement
l’échelledefer
etse secoua
entreeux
commeunchienmouillé.
Ellegrelottait.
Julesl’enveloppa
danssonmanteau.
Jimcourutchercheruntaxi,
poussalesmariésdedans,
claqualaporte,
donnal’adresseauchauffeur,
ets’éloigna.
Lelendemain
iltrouvaJulespâle,
silencieux,
moinssûrdelui,
etplusbeau.
Katheétaitcomme
unjeunegénéralmodeste
aprèssacampagned’Italie.
Ilsne parlèrent pasduplongeon.
Text
Henri-Pierre Roché, Jules et Jim.
Folio, 1979: 73 - 75.
Éditions Gallimard, 1953.
Image
Claude Monet, La Femme à l’ombrelle (detail), 1875.
National Gallery of Art, Washington DC